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Les objets et leur circulation

Comme le remarque François Hébert, au Québec francophone, « les fascicules populaires font leur apparition au début des années 1940 [1] ». Imprimés sur du papier de piètre qualité, présentant un texte tassé et exhibant de nombreuses fautes (certaines finales de fascicules ne concernent même pas la bonne histoire…), ces romans sont produits à toute vapeur et destinés à être consommés aussi rapidement. Ils révèlent à la fois les craintes, les aspirations et les fantasmes de la population, offrant une fenêtre exceptionnelle sur la société de leur époque.

 

Les romans en fascicules publiés en français au Québec sont souvent confondus avec le phénomène de la pulp fiction, alors qu’ils tirent plutôt leur format de la tradition européenne plus ancienne du dime novel, soit, littéralement, le « roman à 10 sous », ainsi nommé à cause de son prix. Le pulp magazine américain relève en effet davantage de la presse périodique : il s’agit d’un « magazine au nombre de pages beaucoup plus important (entre 100 et 120 pages) et contenant plusieurs récits dans un même numéro [2] ». Or, au Québec, le format des fascicules populaires reprend de près celui des dime novels : « ils font 13 X 17 cm, ont une couverture souple, comportent de 32 à 36 pages et offrent un récit complet [3] ».

 

Les fascicules font partie de la littérature sérielle ou industrielle. On estime à près de 11 000 titres, publiés par 66 maisons d’édition, la production totale de ces fascicules au Québec. On comprend qu’étant donné la très forte compétition sur le marché, les instances éditoriales doivent rivaliser d’inventivité pour se faire remarquer par la clientèle. En plus de se disputer les places bien en vue dans les tabagies, gares, terminus, kiosques à journaux et restaurants, elles cherchent à capter l’attention des acheteuses et acheteurs dès le premier coup d’œil. De là les illustrations provocantes de couverture, souvent beaucoup plus audacieuses que le contenu lui-même : elles sont conçues pour accrocher les badauds et susciter l’achat.

 

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Le résultat de ces politiques agressives de marketing est sans équivoque : ce sont des dizaines de milliers d’exemplaires de ces publications à bon marché qui sont vendus chaque semaine. À Montréal seulement, Police-Journal, dirigée par Edgar Lespérance (1909-1964), l’éditeur le plus puissant de l’époque, s’appuie sur un réseau comptant jusqu’à 1800 points de vente, surtout situés dans l’est et sur la Rive-Sud [4]. La vente par abonnement lui permet également d’étendre et de fidéliser son lectorat : selon Vincent Nadeau et Michel René les séries de Police-Journal sont lues jusqu’en Nouvelle-Angleterre, au Nouveau-Brunswick et au Manitoba [5].

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[1] François Hébert, La littérature populaire en fascicules au Québec, Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 11.

[2] François Hébert, La littérature populaire en fascicules au Québec, Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 11.

[3] François Hébert, La littérature populaire en fascicules au Québec, Québec, Les Éditions GID, 2012, p. 11.

[4] Vincent Nadeau et Michel René, « Une littérature industrielle », dans Le Phénomène IXE-13, Québec, Presses de l’Université Laval, 1984, p. 35.

[5] Vincent Nadeau et Michel René, « Une littérature industrielle », dans Le Phénomène IXE-13, Québec, Presses de l’Université Laval, 1984, p. 40.

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